Ukraine 1914-1920

Groupe Colargol Liquide



C'est dans la foulée des différentes insurrections ponctuelles et sporadiques qui ont eu lieu durant la Grande boucherie de 1914-18 et dans la révolution d'Octobre 1917 que les prolétaires agricoles ukrainiens se sont soulevés contre les forces bourgeoises en s'emparant des terres cultivables d'Ukraine. Mais Lenine nouvel homme d'Etat ramassant "le pouvoir où il traîne dans les rues", signe le traité de Brest-Litovsk. Ce traité cède l'Ukraine au gouvernement impérial allemand en échange de la paix entre Etats. Les allemands s'emploient alors à piller la région et récupérer leur suprématie momentanément suspendue par la révolution.

Les prolétaires ukrainiens, organisés en détachements par Nestor Makhno, chassent les troupes allemandes. Mais, très vite, ils sont confrontés à la réaction des armées blanches contre-révolutionnaires qui bénéficient, elles, du soutien des gouvernements occidentaux. Pour Lenine et les bolcheviques, la révolution en Ukraine est avant tout un obstacle à l'installation de leur appareil d'Etat. Mais, avant de se débarrasser définitivement de l'Armée Révolutionnaire Insurrectionnelle, l'armée rouge l'utilisera et l'usera comme tampon entre Moscou et la menace des armées blanches.

La Makhnovchtchina (Armée Révolutionnaire Insurrectionnelle) n'est pas le seul mouvement révolutionnaire à avoir résisté à l'Etat bolchevique, mais c'est le plus important par son organisation, sa durée et son étendue géographique. 


1. Les Origines 

En 1914 éclate la Grande Boucherie guerrière entre les états d'Europe et l'Allemagne économiquement à genou. Cette guerre vise à réduire le prolétariat et ses aspirations communistes de suppression de l'échange et du travail salarié.
En effet l'Allemagne cherche un terrain d'expansion économique qui lui fait défaut par rapport à ses autres concurrents anglais, français et russes déjà étendus dans diverses colonies depuis le siècle précédent.

Les raisons données aux prolétaires pour qu'ils aillent se faire massacrer sur les différents fronts sont, pour les allemands, la "défense de la nation contre les dangers tsaristes" et, pour la France, l'image du "terrible teuton qu'il faut repousser la fleur au fusil".

Après deux ans de guerre inter bourgeoise et de tueries pour défendre les intérêts concurrents de la bourgeoisie plusieurs refus d'obéissance apparaissent dans tout les camps (Champagne 1915, Verdun 1916, Aisne 1917...) Les forces de la bourgeoisie se mettent alors en branle pour mater ces différentes insurrections. Toutefois, il en reste une qui dépasse temporairement les forces bourgeoises: celle qui se déroule en Octobre 1917 en Russie.

Quelques mois plus tard les états "belligérants" signent l'armistice et s'organisent autour de leurs intérêts particuliers pour reprendre le contrôle des biens déjà pris par le prolétariat (en ex-Russie) et, avant tout, pour arrêter l'extension de la vague de lutte qui déferle sur le monde..


2. Brest-Litovsk

Le mot d'ordre du mouvement d'Octobre 1917 était: "Les usines aux ouvriers! La terre aux paysans" Tout le programme social et révolutionnaire des masses se trouvait dans ce mot d'ordre: anéantissement du capitalisme, suppression du travail salarié, suppression de l'esclavage étatique et organisation d'une vie basée sur l'auto direction des véritables producteurs.

En fait, très vite, s'installe un gouvernement "provisoire", un nouvel état qui profite des forces révolutionnaires du mouvement insurrectionnel d'Octobre. Cet état ne détruit pas le capitalisme, au contraire, il le réforme , le salariat reste intact, la soumission du prolétariat se fait alors sous le prétexte d'un devoir envers l'état. Ce gouvernement est dirigé par un parti politique socialiste: le parti "Bolchevik" dirigé par Lenine.

Malgré tout, la situation évolue différemment en Ukraine où l'influence du parti bolchevik a toujours été insignifiante sur les prolétaires des villes et des champs. La révolution d'Octobre n'a atteint cette région que beaucoup plus tard, en novembre et en décembre. Les ouvriers y ont chassé les propriétaires des usines. Les prolétaires agricoles, s'y sont emparés des terres appartenant aux propriétaires fonciers et aux riches paysans (les koulaks). Cette situation se propage presque sans obstacles durant toute la première année de la Révolution.

Le 3 Mars 1918, est conclu le traité de Brest-Litovsk. Ce traité est signé par Lenine, Trotsky (alors "chef" de l'armée rouge) et le gouvernement allemand. Il assure au gouvernement de Lenine une armistice salutaire à sa prise de contrôle du peuple de Russie et permet à la bourgeoisie allemande de reprendre le grenier à blé de l'ancienne "Grande Russie": l'Ukraine. Les armées impériales allemandes y entrent en maître et y anéantissent les dernières conquêtes révolutionnaires des prolétaires.


3. Goulaï-Polé, juin - août 1918

Les mois de juin, juillet et août 1918 sont marqués de nombreux actes insurrectionnels. Principalement dans les villages, les habitants s'unissent de plus en plus afin de reprendre ce qui leur a été volé. Ces actes révolutionnaires se font de plus en plus fréquents, leurs auteurs sont unis et motivés par un plan général anarchiste, par la marche d'un mouvement vers la révolution communiste. Le rôle le plus important dans ce mouvement d'unification des travailleurs revient à un détachement conduit par Nestor. C'est alors que se forme le point culminant de l'insurrection révolutionnaire: la Makhnovchtchina et son Armée Insurrectionnelle Révolutionnaire.

Durant cette période, les partisans makhnovistes s'en tiennent à une règle générale valable pour les troupes austro-allemandes comme avec les troupes blanches et, plus tard, rouges: exécuter les officiers et rendre la liberté aux soldats (prolétaires forcés de porter l'uniforme) en leur proposant de rentrer dans leur pays, d'y raconter ce que font les prolétaires d'Ukraine et d'y travailler pour la révolution sociale et internationale.

Ce fait ajouté à la distribution massive de tracts aux soldats des armées de la bourgeoisie marque le caractère internationaliste de l'Armée Insurrectionnelle Révolutionnaire. En effet, dès le début ce sont des partisans des armées allemandes, austro-hongroises et même de Grande Russie et quelques juifs qui rejoignent la Makhnovchtchina. D'autres soldats de l'armée rouge viendront plus tard grossir les rangs des insurgés.

Voila de quoi contrer les affirmations de tous les idéologues libertaires et/ou staliniens qui ne voient dans la Makhnovchtchina qu'un mouvement local.

De plus, Archinov explique "les t‚ches de sa compagnie (celle de Makhno) étaient: a/ effectuer activement un travail de propagande et d'organisation parmi les paysans; b/ mener une lutte implacable contre leurs ennemis. A la base de cette lutte se trouvait le principe suivant: tout propriétaire terrien persécutant les paysans, tout agent de police de l'hetman, tout officier russe ou allemand, en tant qu'ennemis mortels et implacables des paysans, ne devaient rencontrer aucune pitié et être supprimés(...) En l'espace de deux ou trois semaines, ce détachement devint déjà la terreur, non seulement de la bourgeoisie locale, mais aussi des autorités austro-allemandes".

De plus, pour répondre aux accusations faite à la Makhnovshtshina de compter parmi elles des éléments "douteux" nous pouvons affirmer qu'elles n'a jamais accepté de factions contre-révolutionnaires en son sein. Mieux, nous aimerions souligner, par exemple, l'exclusion de tous les partisans armés de Grigoriev ralliés à la Makhnovstshina suspectés de tendance antisémite (voir à ce sujet le texte La Makhnovstshina et l'antisémitisme). Rappelons aussi l'exécution de tous les cadres anarchistes qui, dans un moment d'égarement, on cru bon de lutter contre le bolchevisme dans les rangs de l'armée blanche. Ces évictions étant faites alors que la Makhnovstshina était pourtant loin d'être en surnombre. 

De novembre 1918 à juin 1919, les habitants de la région de Goulaï Polé ne subirent aucun pouvoir politique et établirent la commune de travail libre et les soviets (conseils) libres des travailleurs.

C'est, là, une de grandes faiblesses du mouvement makhnoviste de continuer à définir l'être humain et social par le biais de son travail, dans le cadre de structures plus syndicales que révolutionnées.

Une autre faiblesse du mouvement insurrectionnel à été de ne pas pouvoir (ou vouloir) s'étendre géographiquement. Dans une recherche de nouvelles structures organisationnelles dignes d'un temps de paix où le prolétariat serait entier possesseur de ses moyens de productions, les révolutionnaires en temps de guerre se sont privé de l'expansion mondiale et salutaire à la révolution. S'enfermant dans un piège que la bourgeoisie va s'empresser de lever.


4. Les blancs et les rouges

En janvier 1919 ont lieu les premiers affrontements avec les troupes blanches du général Dénikine (et, plus tard, celles de Wrangel), contre-révolution armée issue du régime tsariste et soutenue par l'Occident afin de rétablir l'ancien régime. La partie devient très serrée pour la Makhnovchtchina. Les makhnovistes accepteront de placer leurs détachements sous le commandement de l'armée rouge, qui utilisera sans cesse leur redoutable efficacité militaire comme bouclier contre les troupes blanches.

"Lorsque les troupes blanches exerçaient une forte pression sur l'armée makhnoviste, celle-ci opérait souvent une rapide retraite, en s'efforçant de disparaître du champ de vision de l'ennemi, puis s'attaquait immédiatement par l'arrière, en ayant pris soin de laisser à l'avant une unité qui servait d'appât aux blancs. Quand une unité blanche pensait avoir défait les makhnovistes et croyait parachever son succès en les poursuivant, elle se trouvait en réalité prise à revers. Si cette tactique échouait, les makhnovistes, soumis à la pression constante de l'ennemi, dispersaient dans toutes les directions leurs unités en différents groupes , désorientant complètement l'ennemi." (Koubanine)

Pourtant, pour Lenine et Trotsky, la Makhnovchtchina, même s'ils la tolèrent un temps puisqu'elle leur est utile, reste, avant tout un obstacle au pouvoir bolchevique et, pire encore, un dangereux exemple de révolution dans les actes, refusant tout centralisme étatique. Les makhnovistes ne prendront que trop lentement conscience de la ferme volonté de Moscou de les éliminer dès que possible.

Dès que les armées blanches furent défaites, l'armée rouge, forte de son écrasante supériorité numérique et matérielle, écrasa la Makhnovchtchina. Nestor Makhno se voit alors obligé de fuir la terre que lui et ses camarades avaient repris à la bourgeoisie.


5. Après l'Ukraine

Très éprouvé, sans aucune ressource que la solidarité vacillante et précaire des libertaires français, Nestor Makhno entreprend à nouveau, peu à peu, des contacts. Archinov qui a déjà publié ses mémoires avant l'arrivée de Nestor Makhno a relancé la publication de Dielo Trouda (La Cause du Travail) et fonde avec Makhno le Groupe des Anarchistes communistes russes à l'étranger.

En 1926 est publié le projet de "Plate-forme organisationnelle de l'Union Générale des Anarchistes", où Archinov et ses camarades tentent de tirer systématiquement les leçons de leurs expériences de lutte en Ukraine, en particulier concernant la carence organisationnelle et théorique.

Malgré ses faiblesses (notamment sur la question du travail), ce projet de plate-forme demeure riche et relativement sans équivalent. Il n'a malheureusement pas donné lieu aux espérances de mises au point collectives. L'ancien camarade Voline accusa ses auteurs d'autoritarisme(!), voire de bolchevisme(!!). Notons que Voline et Galina Kouzmenko (l'épouse de Makhno) finiront par br°ler des manuscrits inédits de Makhno après la mort de celui-ci. Les libertaires français ont également réservé un très mauvais accueil au projet de Plate-forme, peu enclins à remettre en cause le nébuleux fourre-tout syndicaliste/individualiste qui sévit encore aujourd'hui parmi eux. Au compte de ces détracteurs figura l'illustre et contradictoire Sébastien Faure.

Les anarchistes n'ont guère tiré de leçons de leur échec dans la révolution russe et de l'expérience de Makhno. En fait, ce débat revient périodiquement dans l'histoire de l'anarchisme et y connaît la même évolution cyclique, aboutissant au refus de toute autorité et de toute organisation, jusqu'à ce qu'une nouvelle situation révolutionnaire accule les anarchistes à l'engagement. La démarche de Makhno était la conséquence nécessaire de sa participation à la guerre révolutionnaire. Il était fatal qu'il ne fut compris que par des militants anarchistes qui se trouvaient confrontés au même dilemme.

Fauché par la solitude et par la maladie, Nestor Makhno meurt le 25 Juillet 1934... quelques années avant la guerre d'Espagne, qu'il avait prédite et pour laquelle il avait émis le souhait de s'engager.


6. En guise d'imparfaites conclusions...

Contrairement au romantisme idéaliste (répandu par la propagande bourgeoise) qui peut en être parfois fait, l'insurrection ukrainienne n'est évidemment pas le fait subjectif d'un seul combattant génial capable de convaincre des gens à lutter. C'est d'abord et avant tout une réaction spontanée de prolétaires en lutte face à la terreur bourgeoise. A l'initiative de ces réactions se trouvent souvent des fractions de combattants plus déterminés, plus organisés.

Les révolutionnaires ne créent donc pas la lutte, elle existe et vit dans l'essence même de la société humaine face au capitalisme. Ils cristallisent cette lutte et, par là, permettent la réalisation de différents sauts de qualité :

D'autres parts, et contre les affabulations territorialistes de la bourgeoisie socialiste (c.f. entre autres les trotskistes du Chiapas), il faut savoir que le prolétariat n'a pas de territoires à défendre, sa guerre est une guerre sociale qui s'attaque à un rapport social découlant d'un mode de production (le capitalisme). La lutte des classes n'est pas une guerre de front comme lorsque deux armées bourgeoises s'affrontent pour conquérir des territoires ou des marchés. Dans la guerre de classes (la seule que le prolétariat revendique), nous n'avons pas à nous raccrocher à des territoires ou à des "droits acquis" qui sont autant de pièges obligeant le prolétariat et ses avant-gardes, qu'ils le veuillent ou non, à gérer la société et non à la bouleverser de fond en comble.

L'expérience de la Makhnovchtchina est révélatrice à ce sujet où se repliant sur les territoires "libérés" des armées blanches, les makhnovistes ne vont plus développer, et donc abandonner, l'offensive prolétarienne, l'extension du mouvement pour privilégier la défensive à travers la création de commune de travail, etc.

Est ainsi apparue l'autogestion généralisée dans le cadre du capitalisme mondial toujours puissant et se renforçant à chaque moment de faiblesse et de relâchement du prolétariat.


Source: Nestor Makhno et la Makhnovstchina, an archive by Groupe Colargol Liquide (site at present unavailable)

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